France – La Ciotat
Espagne – Séville
Brésil – Recife
un baobab résistant
est devenue l’île de Dieu
Chili – Punta arenas
avec cette voiture
s’est transformé en pierre
Polynésie – Rapa
de tout le monde
le retour des pêcheurs
Nauru
m’arracher ma beauté ?
de phosphate
des cacahuètes
Philippines – Cebu
Sri Lanka – Colombo
quand même aller à l’école
Cap Vert – Mindelo
pas une goutte ne tombe
pour tout le monde
Un matin d’août 1519, cinq navires appareillèrent de Séville sous les ordres de Magellan, en direction des légendaires îles aux épices. Trois ans plus tard, dix-huit hommes sur les deux cent soixante-cinq embarqués rejoignaient l’Espagne pour témoigner du rêve de leur capitaine, massacré sur l’île philippine de Mactan : accomplir le premier tour du monde par la route de l’Ouest.
Août 1998 : nous repartons dans son sillage sur le Tiki Yo, un voilier de 16 mètres, avec les mêmes haltes, à quelques encâblures près, que les matelots de Magellan. Dans nos cales, un laboratoire itinérant, du papier photographique, et nos « appareils ».
Leurs désirs d’enfants et de futurs hommes du XXIème siècle révéleront leurs pays, leurs environnements, leurs patrimoines pour tisser une immense chaîne.
Des banlieues sévillanaises aux favelas du Brésil ou aux gamins des rues au Cap-Vert, des prostituées philippines aux jeunes Tamouls du Sri Lanka , des gamins de Nauru à Rapa, chacun s’est emparé des boîtes pour y exprimer sa réalité, ses espoirs, ses revendications et ses doutes.
Toutes les étapes photographiques ont été franchies ensemble, de la prise de vue au travail de laboratoire. A la fin de chaque stage, une exposition était organisée.
Le résultat de ce travail a été exposé en janvier 2001 à la Grande Arche de la Défense ainsi qu’au festival international de Biarritz et un livre, Dans le sillage de Magellan, édité aux Editions du Collectionneur
Extrait du journal de bord « Dans le sillage de Magellan » de François Perri :
Le premier atelier se déroule à » l’Atelier Bleu » situé dans le parc du Mugel. Quinze enfants de la Ciotat y ont participé pendant une semaine.
Les enfants écoutent sagement le court d’art photographique que je leur donne, assis au milieu des pins centenaires. Beaucoup plus intéressés par l’histoire de Magellan et par notre voyage autour du monde…
Ils évoquent par la suite les différents lieux qu’ils veulent photographier pour » mettre leur ville en boîte ». La Ciotat, c’est la ville des frères Lumière. leur maison, la plage du Liouqet où furent filmées: « les première femmes à poil … », la fameuse gare, le chantier naval : « impossible d’y rentrer », me disent-ils en choeur ! « Tout est possible, il suffit d’essayer! » crie Théo.
Séville au mois d’août, c’est 45° à l’ombre et la désertion de ses habitants pour des terres plus fraîches… La ville tourne au ralenti. Quartier de Santa Cruz, au cœur de la vieille ville. Un policier arrête les enfants pour leur demander ce qu’ils font. Jésus a beau essayer de lui expliquer, l’homme n’en croit pas un mot. Les autres viennent à la rescousse. Mais il ne veut rien entendre : « Oui, oui, je sais, il y a un appareil de photo dans la boîte…» Ultime explication, il acquiesce en se frottant le menton. Valme Zappata l’interpelle : «Nous sommes des photographes, pas des voyous…»
Tour en barque dans «la petite Venise» de Recife: baraques en bois brinquebalantes au premier plan, buildings de Boa Viagem, le quartier chic, en arrière-plan. Neide s’approche d’un homme endormi en plein soleil, cuvant sa cachaça. Il se lève, titube, refuse d’être photographié, et se rendort aussitôt. Elle persiste, pose la boîte, calcule son angle: «Ici trop de gens boivent, il n’y a rien d’autre à faire», m’explique-t-elle.
Plus tard, l’homme vient me voir d’un pas ferme, pose sa main sur mon épaule : «Cette photo, elle me plaît, on me croit mort…, et j’étais mort», lance-il en éclatant de rire.
Sur la place de Magellan à Punta Arenas, une vieille femme nous observe, s’approche, et passe rapidement près de nous en criant : «Sorcellerie! magie noire! que font tous ces marmots avec ces boîtes?» Leo veut immortaliser un militaire en tenue. Après une longue discussion, l’homme se prête au désir du gamin, qui mesure la lumière : «Deux minutes», annonce-t-il à l’homme qui fait la moue. Dans un superbe garde-à-vous, le sergent prend la pause. «On dirait un soldat de plomb», lance José. «Mais non! rétorque Léo, chez les soldats, c’est le cerveau qui est en plomb!» Les yeux du militaire lancent des flammes.
Nous traversons en baleinière la baie du volcan de Rapa Isolée à 500 kilomètres au sud de l’archipel austral. Les enfants filent de tous côtés, s’enfonçant jusqu’aux genoux dans une tarodière. Vérica renonce à faire la photo d’un pandanus, car «sous la plante se trouvent les tombes des anciens…», un lieu tabou. Mahara cherche désespérément un sujet, fait le tour d’un jardin potager et découvre un cochon, dont il tire le portrait en décrétant : «Le cochon, il est bien dans ma boîte.»
De retour au laboratoire, à Nauru, la plus petite république du monde, perdue en plein océan Gemmyma ouvre sa boîte, et semble déçue de n’y découvrir qu’une feuille blanche. Elle plonge le papier dans le révélateur, l’image apparaît. Les enfants applaudissent. Ici, la boîte n’est pas perçue d’une façon individuelle mais collective. Les adolescents développent ensemble les sténopés et se font des critiques constructives : angle, photographie mal cadrée, surexposition…
Assis sur des bancs devant la chapelle de Kamagayan à Cebu, ils écoutent silencieusement le cours. Une centaine de personnes – gamins et adultes mêlés – y assistent. Jean-Philippe sort du labo avec une boîte. Les enfants éclatent de rire : «Non, c’est ça l’appareil?» Bizarrement, ils redoublent d’attention. Premiers sténopés dans le quartier, premiers attroupements. Au labo, les gamins frappent dans leurs mains, claquent des doigts. Janice commente: «Trop noir, surexposé, fais attention à ton temps de pose.» Jérôme se défend: «Je trouve que c’est pas mal, on dirait l’enfer…» 53° C, on explose le record de température.
A Colombo, les cours débutent, traduits par Martin en cinghalais. Les enfants n’ont jamais fait de photos. Pauvres parmi les pauvres, rejetés par tous, ils ont des regards durs et sérieux. Personne ne semble étonné par la boîte, qu’ils se passent religieusement de main en main telle une relique. A l’exposition, ou toute cérémonie commence au Sri Lanka par la cérémonie de la lampe, j’allume la petite mèche d’une lampe à huile entourée de fleurs de frangipaniers. Je vois briller les pupilles des garçons habillés tout en blanc et des filles drapées dans leur plus beau sari. Plus tard, le groupe nous raccompagne au bateau. Lettre d’adieu émouvante, et l’éternelle question qui nous brise le cœur: «Quand revenez-vous?»
Premières prises de vue dans Mindelo. Dans la rue une bouteille de bière explose au pied des enfants. Une bande adverse… Les gosses sont furieux. Je calme la troupe. Plus loin, un homme accuse Elvis d’avoir encore volé en pointant la boîte. «C’est mon appareil», répond le gamin. L’homme s’exclaffe : «Tu te fous de moi», et lui ordonne de filer. Dans l’infirmerie du centre, transformée en laboratoire, les scotch sont mis en boule, les boîtes brutalisées, déformées, les temps oubliés. Les résultats sont médiocres, mais les enfants semblent très surpris de voir apparaître un semblant d’image sur leur feuille blanche. Bagarres, disputes, les gamins sont très durs entre eux. Je réunis le groupe pour une mise au point, leur parle du constat réalisé par les enfants du Brésil. Les esprits s’échauffent, puis se calment. Au laboratoire, les bagarres s’estompent, les gamins sont plus soigneux et disciplinés. Senior Revelatore reste collé à la pendule pour ne pas oublier son temps. Senior Fixatore ne goûte plus le produit, et les traces disparaissent sur les images. Devant sa photographie qui apparaît doucement dans le révélateur, Antonio soupire : «Ah! elle est bien celle-là, je suis seul sur cette route comme je suis seul dans la vie…»
Peine et joie, calme et tempêtes se sont succédés. Vingt-six mois de navigation, trente-six mille miles parcourus, cinq mille feuilles de papier photo. Une longue chaîne photographique fait la farandole grâce aux regards des jeunes. Le Tiki Yo peut rentrer à son port d’attache.
Gibraltar, novembre 2000
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Ce projet a été réalisé grâce au Ministère de la Culture (Mission pour la Célébration de l’an 2000), Figaro Magazine, Bermudes, International Celomer, Agfa, Lopez Entreprise.